Françoise Spiekermeier
En Provence, la sculpture est dans la nature
Volée la clé des champs ! Soufflée, la poudre d’escampette… Elles se font la belle dans la nature. Oeuvres de l’imagination de toutes les dimensions, monumentales ou végétales, les sculptures vont prendre la pose au coeur des jardins. Petit tour d’horizon de ces nouveaux lieux de cultures en Provence, où l’art contemporain fleure bon le romarin.
Séjourner au cœur du vignoble et de l’incontournable collection du Château de la Gaude
Luxe, calme, art et volupté. Au cœur de la campagne aixoise, l’élégante façade XVIIIe du Château de la Gaude, entourée de jardins à la française, dissimule un incroyable lieu de villégiature à l’atmosphère luxueuse mais décontractée. L’hôtel 5*, cerné de ses vignobles et de bosquets de pins parasols, a fait de ses extérieurs des espaces d’exposition pour les œuvres monumentales d’une collection qui privilégie les grands classiques dans des versions hors catégorie. D’entrée, l’artiste français Philippe Pasqua apporte une touche insolite et grinçante à travers une vanité aux papillons dorée qui oblige à lever les yeux vers elle comme au pied d’un autel.
Dans une allée de buis desservant les tables installées sur la terrasse, les serveurs du restaurant contournent les seins proéminents de Ginette, l’un des six exemplaires d’un bronze de César…
Au rythme soutenu de ses acquisitions, le Château de la Gaude s’affirme de saison en saison comme un lieu incontournable de découverte de l’art contemporain.
À l’écart du bâtiment principal, des pavillons ronds douillettement aménagés permettent de dormir à l’ombre des chênes, fenêtre ouverte sur la voie lactée.
À deux pas de là, un T-rex au squelette argenté de Philippe Pasqua semble échappé d’un musée d’histoire naturelle… L’œuvre est la première sur un parcours artistique au milieu des vignes qui verra le jour en 2025.
En attendant, 165.5˚ Arc x 24, œuvre en acier Corten de Bernar Venet, vient de se poser comme une plume sur les pelouses, au bout du jardin.
Rencontrer les grands maîtres du XXe siècle dans le parc de la Fondation Bernar Venet
C’est un lieu totalement à part, un parc romantique au bord d’une rivière bordée de saules pleureurs, situé à un jet de pierre du village du Muy. Dans “l’Usine”, un hangar blanc surdimensionné où l’on fabriquait au siècle dernier du matériel destiné aux chemins de fer, l’artiste français Bernar Venet a réalisé son rêve.
Il a trouvé un atelier suffisamment immense pour mettre au point ses sculptures en acier Corten, vertigineuses ou minimalistes, qu’il sème un peu partout sur la planète. Certaines se retrouvent présentées dans le parc de sa propriété, à côté d’œuvres d’art minimal et conceptuel –qu’il collectionne– signées Sol LeWitt, Tony Cragg, Frank Stella, Richard Deacon.
Chaque été, une nouvelle exposition permet de pénétrer sur son territoire, une création en soi qui représente l’aboutissement de plus de soixante ans de pratique artistique.
S’inviter à la Commanderie de Peyrassol, dans la plus grande collection de sculptures monumentales à l’air libre de France
En entrant sur le domaine de la Commanderie de Peyrassol fondée au XIIIe siècle par les Templiers, on est loin d’imaginer que l’on pénètre dans l’antre d’un des plus grands collectionneurs d’art contemporain en France.
Sur les contreforts du massif des Maures, blottie dans un vaste cirque à l’abri des vents, cette campagne provençale a conservé son caractère authentique.
En se promenant sur le sentier qui serpente entre les vignes et les bois, on est amené à croiser pas moins de soixante-seize sculptures monumentales, plus ou moins discrètes. Toutes ont été choisies et acquises par le maître des lieux, Philippe Austruy, homme d’affaires du secteur privé de la santé, suite à ses rencontres avec les artistes. Tombé sous le charme du site en 2001, il a acquis ce domaine de 850 hectares dont 92 de vignes, puis l’a ouvert au public en 2015.
Alchimie parfaite entre la culture du vin et celle de l’esprit, Peyrassol est devenu une adresse incontournable pour les amateurs de création contemporaine. On y croise les œuvres de Daniel Buren, Jean Dubuffet, Niki de Saint Phalle, Dan Graham, Carsten Höller, Richard Long, mais aussi des créateurs séjournant en résidence sur les lieux. En cette saison 2024, l’artiste à l’honneur, Bertrand Lavier, présente une vingtaine de nouvelles réalisations d’avril à novembre. Il s’est prêté au jeu de l’assemblage à travers la conception d’une cuvée de rosé à son nom et d’un plat signature inscrit au menu de Chez Jeannette, le restaurant gastronomique perché au-dessus des vignes sous les drapeaux colorés de Daniel Buren.
Choisir sa prochaine folie des grandeurs dans une galerie à ciel ouvert, au Domaine du Muy
C’est un maquis sauvage piqueté de pinèdes ondulées sur la route de Saint-Tropez. Un sentier serpente sur ses pentes et au détour de ses boucles, invite à un face-à-face avec une œuvre, à ciel ouvert. Au Domaine du Muy, on se sent libre, totalement dégagé des discours attendus. Dans ce décor un peu rugueux écrasé par le soleil, la création s’exprime dans sa parfaite assomption. Il y a environ quarante œuvres savamment disséminées sur ce parcours, qui permet de découvrir une collection de pièces totémiques, parfois uniques, conçues in situ pour résister aux intempéries. Entièrement dédié à l’art monumental, ce lieu hors du commun a été imaginé par le galeriste parisien Jean-Gabriel Mitterrand, plus habitué au Marais.
Passionné par les réalisations de grandes dimensions, il s’est spécialisé dans le montage de structures d’envergure en collaboration avec des artistes majeurs. En 2014, il imagine avec son fils Edward ce nouveau concept destiné aux collectionneurs privés ou aux représentants de musée: il s’agit d’un véritable laboratoire permettant de s’initier aux arcanes de l’aménagement, aux rapports de l’œuvre avec le paysage, à l’étude de la synergie entre l’art et la nature.
L’incroyable diversité des créations repose sur des partenariats avec de prestigieuses galeries telles que Emmanuel Perrotin, Esther Schipper ou Larry Gagosian. Le promeneur entre dans de véritables face-à-face avec des œuvres surprenantes comme avec ce “banc de géant” de Jean-François Fourtou, parmi d’autres “célébrités” de l’art contemporain: Dennis Oppenheim, pionnier du Earth Art, Claude Parent, Xavier Veilhan, Niki de Saint Phalle. À grandes œuvres, grands moyens.
S’inspirer de la maison du designer Pierre Yovanovitch au Château de Fabrègues
Depuis 2009, le Château de Fabrègues est devenu le refuge du designer et architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch. Admirateur des savoir-faire traditionnels artisanaux, il a entièrement restauré cette magnifique demeure du XVIIe siècle et ses terres agricoles, faisant appel, pour le bâti, à des artisans détenteurs de techniques anciennes telles que la gypserie, apportant une touche d’imagination à la décoration des plafonds. Mais c’est bien au cœur des jardins que se révèle l’amour profond porté par le designer à l’art contemporain, lequel constitue pour lui une partie essentielle de la vie. Ainsi ses relations privilégiées avec les artistes lui permettent-elles, en leur donnant carte blanche, de rassembler des œuvres créées pour et à Fabrègues, qui modifient l’appréhension du lieu et de l’espace par leur radicalité, leur esprit de controverse empreint de sens: une fontaine-sculpture de Claire Tabouret, une sculpture extérieure de Johan Creten, une installation de Tadashi Kawamata, une fresque de Matthieu Cossé… Chaque pièce, parfaitement placée à un point stratégique aux abords de la demeure, constitue un élément disruptif dans ce décor cultivant un ordre et une beauté de toute éternité.