Reportage de Françoise Spiekermeier
Balade dans le sud : la Route de Picasso en Provence
Ateliers improvisés dans des villas de bord de mer, fresques ou frasques sur les murs, effacées à tout jamais… Picasso a ponctué de traces son chemin en Provence comme pour mieux le suivre. A la découverte de Picasso en Provence, tandis que Le Centre Pompidou offre une gigantesque exposition des dessins foisonnants du maître « Picasso. Dessiner à l’infini », en collaboration avec le Musée national Picasso à l'occasion des 50 ans de sa mort avec plus de 1000 oeuvres exposées.
A la fin des vacances, combien de peintures a-t-il recouvert de blanc dans des chambres et salons habités l’espace d’un été ? Sur cette route Picasso, on découvre le quotidien qui fournit la matière à l’œuvre. Picasso a aimé cette Provence, promenant ses pinceaux ou ses doigts depuis les ports jusques sur les hauteurs, sans jamais quitter des yeux la mer. Une multitude de supports a retenu son attention. Transmutés de l’ordinaire au sublime, ils brillent de mille feux, cinquante étés après la disparition du génie. De villages en ports, Mougins, Vallauris, Antibes, Juan les Pins, la passion Picasso vibre plus que jamais!
ANTIBES, le Musée Picasso ou l’art du recyclage.
Antibes est la porte d’entrée du voyage. Depuis le début des années 20, Picasso a passé les beaux jours de 1923, 1924 et 1925 à Antibes. Par la suite, il ne cessera de revenir, et de hanter les collines environnantes.
Pour se rendre au Musée Picasso installé dans le château Grimaldi dominant la Méditerranée, on peut soit longer la mer, ou bien emprunter le cours Massena, en traversant le marché provençal couvert. Parvenus au pied du château, sa rampe permet d’admirer la chapelle Saint-Esprit d’Antibes, là, en contrebas.
Lorsqu’en 1924, Picasso séjourne à Antibes, le château est abandonné par ses garnisons. Pablo rêve de l’acheter mais la commune l’acquiert afin d’y abriter un musée d’art et d’histoire.
LE MUSEE PICASSO
A l’été 46, juste après la guerre, Picasso -célèbre à 65 ans- y revient avec Françoise Gilot, jeune artiste devenue sa compagne. Il rencontre un photographe, Pierre Sima, à qui il confie : « j’ai toujours souhaité qu’on me donne de grandes surfaces à décorer et l’Etat ne m’en a jamais donné ». Plaidant sa cause auprès de Dor de la Souchère, conservateur et fondateur du musée baptisé « Grimaldi », il obtient une résidence de plusieurs mois dans la salle du second étage. On lui fournit tout ce dont il a besoin : chevalets, table, matelas pour se reposer, pinceaux, couleurs. Le peintre attache la clé de son antre par une ficelle à sa ceinture. Jusqu’à la mi-novembre, la vie du couple s’organise entre la plage le matin, les déjeuners avec des amis, puis la sieste. Ils viennent à l’atelier vers le milieu de l’après-midi et y restent jusque tard dans la nuit grâce aux projecteurs de cinéma que Michel Sima s’est procurés aux studios de la
Victorine à Nice. Les chantiers et les constructeurs de bateaux de la région deviennent ses fournisseurs : auprès d’eux, il récupère de grands panneaux de fibrociment, du bois, de la peinture industrielle (le ripolin). Ensuite, il peint sur les murs. Ou alors, il recycle des tableaux qui traînent dans le musée, en recouvrant l’œuvre originale, tel ce portrait de militaire en uniforme devenu « Le gobeur d’oursins ».
Finie la guerre, l’enfermement et l’angoisse ! A Antibes, la vie reprend son vol. Il peint des victuailles, l’abondance, les nourritures : la « Nature morte à la bouteille, à la sole et à l’aiguière », à la façon d’une nature morte religieuse, est comme une offrande. Françoise Gilot lui annonce qu’elle est enceinte. Il fêtera l’événement avec une peinture sur fibrociment : « La Joie de vivre », ode à Françoise qui danse au centre de la composition avec un tambourin, entourée de créatures mythologiques.Le musée, il se l’est offert à postériori, sans jamais le posséder. En y réalisant 23 peintures qu’il laissa en dépôt de même que 44 dessins : de la « salle Picasso » inaugurée officiellement le 22 septembre 1947 naîtra le Musée Picasso en 1966, après un don prestigieux de Picasso complété par une collection de 78 céramiques. Sa résidence de 1946 se prolongea plusieurs années en « permanence intermittente » dans un atelier réservé. Elle fut l’une des plus productives jamais réalisées. Le musée Picasso est une aventure dans laquelle on s’introduit.
JUAN LES PINS, l’œuvre effacée
A 6 km du musée Picasso, au 30-37 boulevard Edouard-Baudouin, une villa ayant appartenu à des milliardaires américains et à l’écrivain F. Scott Fitzgerald, a manqué sa vocation. La Vigie, somptueuse bâtisse construite en 1912 au bord de l’eau par l’architecte Lucien Stable -mise en vente au prix de 27 millions d’euros en 2022- fut l’antre de Picasso à l’été 1924. Il y peint plusieurs huiles sur toiles en s’inspirant pour certaines de l’architecture de la demeure à la tourelle iconique. Il est possible d’admirer la façade et la tour de la maison depuis le sentier côtier ou depuis le boulevard. La villa dispose de huit chambres où Picasso peignit des fresques. Durant son séjour, il promena aussi son pinceau sur les murs des salons. Mais suite à la plainte du propriétaire, il dût tout effacer, ce qui permit d’éviter la création du premier musée du Maître !
VALLAURIS, le musée de la Guerre et la Paix
On s’enfonce vers l’intérieur des terres jusqu’au village de Vallauris où se déroulait traditionnellement l’exposition annuelle des potiers, qui a marqué une nouvelle période dans l’évolution de l’œuvre : celle de la découverte de la céramique. Au centre du village, la place de l’église est devenue celle de « L’Homme au mouton », une sculpture en bronze y trône sur son socle, offerte à la ville en 1949. C’est l’une des rares œuvres à occuper l’espace public, Picasso ayant souhaité que celle-ci puisse être escaladée par les enfants. Suite à sa rencontre avec les propriétaires d’une fabrique de céramiques, l’atelier Madoura, et de premiers essais concluants, Picasso se prend de passion pour cette activité qui lui offre de nouvelles perspectives de création : la malléabilité de la terre et la magie de la cuisson au four qui révèle les coloris éclatants de l’émail et la brillance des vernis. Il s’installe en 1948 à Vallauris etrevient à la peinture en décorant, en 1952, la Chapelle du Prieuré de Vallauris, d’une fresque, La Guerre et La Paix : deux compositions monumentales de plus de 100 m2 sur des panneaux d’isorel épousant la forme de la voûte. Après Guernica en 1937, et Massacre en Corée en 1951, il s’agit pour Picasso de la dernière manifestation de son engagement pour la paix (particulièrement dans les congrès organisés par le Parti Communiste pour lesquels il dessine La Colombe, bientôt mondialement reproduite.)
La Guerre, montée sur un char antique, emmenée par des chevaux sinistres, déploie son cortège de malheurs avant d’être arrêtée par la Justice armée d’un bouclier orné d’une colombe. La Paix associe une figure de funambule qui en exprime le fragile équilibre, un Pégase, une danse de jeunes filles et, sous un oranger, une famille jouissant d’un bonheur calme sous le soleil. Le corps du château de Vallauris abrite le Musée de la céramique où l’on peut admirer la variété de ses créations des, vases, des chouettes, et des assiettes « pour y manger », vouée à la reproduction en série.
MOUGINS la longue et belle vie.
La route – D 135- serpente à travers la campagne pour atteindre le village perché de Mougins. On se rapproche du ciel. A l’entrée du village, sur la gauche, une maison rouge sous un grand pin parasol domine la vallée avec une vue imprenable sur la mer. C’est l’Hôtel Vaste Horizon. Il accueillit Pablo Picasso durant les étés 1936, 1937 et 1938. Il venait de rencontrer la talentueuse photographe de mode Dora Maar : pour eux, l’été est une fête, avec une bande d’amis invités : Nush et Paul Eluard, l’écrivain Roland Penrose et la photographe Lee Miller, l’artiste Man Ray… Eté après été, ils imprègnent le lieu de joie de vivre, et les murs de fresques qui ne sont pas au goût du propriétaire qui les fait effacer. L’art du graffiti est né mais pas encore reconnu! A deux pas de l’hôtel, en grimpant dans le village, il est là, il scrute l’horizon : un buste monumental de Pablo sur la place des Patriotes : 2,40m de haut, 1,60 m de large, réalisé par Gabriel Sterck. Une petite reproduction se trouve au Musée d’art Classique de Mougins, un musée privé doté d’une intéressante collection d’oeuvres de Picasso mais aussi d’un étonnant portrait de lui réalisé par Françoise Gilot. Dispersées au milieu de splendides pièces de l’antiquité grecque ou égyptienne, on y contemple plusieurs gravures de la fameuse Suite Vollard, incontournables. Mais l’apogée du voyage se situe un peu à l’écart, sur le chemin d’une chapelle, Notre-Dame de Vie. Bordée d’une haie de cyprès séculaires, les familles de la région venaient y faire baptiser les enfants mort-nés. Le monde entier vint l’admirer : Rostropovitch, Churchill, Rubinstein, Chaplin, Cocteau. Mais Picasso sera le seul à acquérir le Mas Notre-Dame de Vie situé sur la restanque inférieure. On appelle cette maison toute en pierre, le Château de Vie. Picasso y entre en 1961 avec sa dernière épouse, Jacqueline Roque et y vivra jusqu’à sa mort le 8 avril 1973. 800M2, 35 chambres qui deviennent l’immense atelier de la période la plus prolifique de sa vie. Un musée aussi, où s’accumule toutes les œuvres qu’il collectionne. Son nouveau propriétaire depuis 2017, Rayo Withanage, a décidé d’honorer le « Château de Vie » et son rôle dans l’histoire de l’art, le transformant en « centre global de la production d’art avec un investissement de 100 millions de livres sterling ». Des artistes du monde entier seront invités à investir l’atelier de Picasso pour contribuer à enrichir l’art contemporain, à l’endroit où Picasso a créé des oeuvres dont les ventes cumulées ont été estimées à presque 4 milliards d’euros. Un investissement pour la longue vie de l’art.
La route du Lubéron
Et si le cœur vous en dit, poussez la route jusques dans le Lubéron pour visiter la maison de Dora Maar dans le beau village de Ménerbes. La femme surréaliste idéale, aimée par Picasso, à qui il offrit cette maison dont elle ne partit plus jamais… Un ensemble de dessins, de poèmes, de peintures, trouvés par hasard lors d’une vente aux enchères, ouvrent une nouvelle fenêtre sur la vie intérieure de Dora Maar : ses parents, ses amis, son chat, Picasso, son rapport à la foi. Et aussi, sa mobylette.
Quand au « Maître », c’est à Vauvenargues près d’Aix-en-Provence qu’il repose, au plus près de son unique maître : Paul Cézanne, et sa Montagne Sainte-Victoire.
A VOIR SUR LA ROUTE DE PICASSO
ANTIBES, Musée National Picasso : exposition « Picasso 1969-1972. La fin du début, au Musée National Picasso d’Antibes jusqu’au 2 juillet 2023
Vallauris : Exposition Picasso « Formes et métamorphoses, la création céramique de Picasso » au Musée Magnelli- Musée de la Céramique dans le prieuré dit « château » de Vallauris du 6 mai au 30 octobre 2023
https://musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/picasso/
Mougins : Exposition Picasso vu par les Autres, 6 avril-30 septembre 2023 https://www.mouginsmusee.com/fr
Ménerbes : exposition Miracle, Secrets d’atelier de Dora Maar du 17 juin au 30 novembre 2023 à La Maison Dora Maar
Maison Dora Maar