Françoise Spiekermeier
Porquerolles, l’île de légende de la Côte d’Azur
Au large d’Hyères, le soir venu, le dernier ferry file vers le continent. Il ne reviendra qu’au matin. Dès lors, le calme s’installe. Le parfum des eucalyptus se diffuse dans l’air, les joueurs de pétanque déboulent sur la place du village, les enfants marchent pieds nus le long du port…
L’île renaît à elle-même. Encore sauvage, protégée par le Parc national de Port-Cros, Porquerolles invite à tisser un lien fort avec la nature.
Criques désertes et sable fin
Sept kilomètres de long sur trois de large… Rêveuse à la dérive, elle s’abandonne au loin des terres habitées, à plusieurs milles des bruits de l’humanité, là où croisent les baleines. Dans cette intimité particulière, Porquerolles invite à tisser une complicité heureuse avec les plantes, les arbres, les oiseaux, les dauphins, le vent. Les éléments naturels s’accordent pour exacerber nos sens. Entre chien et loup, au coucher du soleil, on va à la plage, on plonge dans les criques désertes, on se roule dans le sable fin, loin des regards du monde.
C’est un réel privilège de pouvoir y séjourner. Il faut s’y prendre longtemps à l’avance. Certains résidents mettent leur bateau à disposition pour des nuitées sur l’eau, sans quitter le port. Avec un peu de chance, une chambre flottante pour un soir ou deux, c’est amusant.
La légende des Iles d’Or
Selon la légende, elles étaient quatre, quatre princesses plus belles les unes que les autres, couvées du regard par un père aimant. À l’approche de pirates sans foi ni loi, pour les sauver, il les figea dans la roche pour l’éternité. Port-Cros, le Levant, Giens –reliée au continent par une langue de sable– et Porquerolles: ce sont les îles d’Or…
Nommée Proté, “première”, par les Grecs, elle est une étape pour les marins avant la route vers la Corse. Le premier parc national à la fois terrestre et marin d’Europe fut créé en 1963 pour protéger la beauté naturelle de l’archipel, sur l’initiative d’une femme amoureuse, Marceline Henry, ayant trouvé refuge à Port-Cros avec son amant.
La Fondation Carmignac et l’Alycastre de Miquel Barcelò
D’après une autre légende, Ulysse, lors d’un long voyage, aurait débarqué sur son rivage et terrassé l’Alycastre, un effrayant dragon des mers qui semait la terreur parmi les villageois. Aujourd’hui, on peut voir le monstre: il trône, campé sur ses deux palmes géantes, en point de mire de l’allée menant à l’entrée de la Villa Carmignac. Œuvre de l’artiste espagnol Miquel Barcelò, commandée par la Fondation Carmignac qui place l’île sur la carte des lieux d’art incontournables en France, l’imposante sculpture en bronze est aussi un hommage à la piraterie qui hantait les grottes dissimulées dans ce gros caillou.
Une île née d’un rêve
Tout ici parle du passé. D’une histoire mouvementée, d’un amour entre un homme et une femme qui ont bâti une utopie à deux, avec l’aide d’une poignée d’autres venus de tous horizons. Leur rêve? Fonder une communauté autosuffisante fonctionnant en parfaite autarcie. Et vivre au paradis sans dépendre de personne. Le pionnier François-Joseph Fournier avait découvert assez d’or et d’argent au Mexique pour offrir Porquerolles à sa femme en cadeau de mariage. Personnalité originale, fumant le cigare, elle surfa sur la vague du tourisme naissant en créant des hôtels sur l’île. Dès 1911, on rêvait déjà d’y séjourner.Pour peu qu’on s’y intéresse, le passé permet d’accomplir un voyage dans le voyage, de succomber à un romantisme d’un autre âge.
Au terme de vingt minutes de traversée à bord d’un petit ferry à l’ambiance festive, on aborde la baie où se niche le port, passé une pointe siliceuse grise couverte de pins aux troncs torturés. Puis, comme un tableau se reflétant dans l’eau calme, la façade rose de la maison des Fournier apparaît entre les mâts des voiliers, avec ses volets verts. Cette jolie demeure est encore le refuge des descendants du visionnaire monsieur Fournier. Pour prévenir les incendies qui avaient détruit l’île avant son arrivée, il fit planter des vignes et fut le premier à produire du vin.
A l’ouest, la pointe du Langoustier
Une fois débarqué, on a le choix: aller à pied ou à vélo. Cap à l’ouest, on traverse le village, direction la plage d’Argent puis la pointe du Langoustier, avec son fortin isolé. La piste poussiéreuse serpente à travers la forêt de chênes verts. Tout au bout, se trouve Le Mas du Langoustier, une autre ancienne résidence de la famille Fournier devenue un hôtel quatre étoiles avec un restaurant de poisson à proximité duquel, dominant la plage, une piste ronde estampillée d’un H autorise les déposes héliportées.
A l’est le cap des Mèdes
Ou cap à l’est. Sous les frondaisons, on marche de plage en plage: la Courtade, l’Alycastre, Notre-Dame (élue plusieurs fois plus belle plage d’Europe) et, tout au bout, le cap des Mèdes, aux rochers mystérieux.
Au-dessus du clocher du village, visible dès l’arrivée en bateau, les ailes de l’ancien moulin à farine tournaient pour moudre le grain et produire le pain utile à la vie insulaire. On l’appelle le Moulin du Bonheur, les couples y vont en pélerinage. Outre l’agriculture bio insulaire, les petits commerces, les cafés, les restaurants, les loueurs de vélos, les bateaux-taxis, les artistes dans leur galerie, les quatre cent cinquante habitants de l’île, ou presque, aiment naviguer à voile. Le Yacht Club de Porquerolles ouvre la saison avec de prestigieuses régates. S’ils le pouvaient, les Porquerollais souffleraient dans les voiles pour éloigner un peu plus leur île de la côte. Et Porquerolles redeviendrait un rêve inaccessible.